Maître de votre vie, Sram vous guette... [RP]

Je me souviens…

J’ai cinquante lunaisons, et je me souviens des Moskitos, charognards agglutinés autour des carcasses des monstres ayant péri par ma lame, Larves, Bouftous, Crabes, Tofus, Tournesols Diaboliques, Roses Démoniaques, des Amakniens également, anges ou démons, héros ou parias ; de cette lutte constante pour sa propre survie, pour résister au mieux face à un Craqueleur qui n’espère que votre trépas, un Dragon Cochon dont l’unique désir est de se repaître de votre peur ainsi que de votre chair, de ces démons, se jetant à vos trousses et rêvant d’or taché du sang de leur victime, de ces prétendus archanges de la justice et de la vérité, ne cherchant dans leurs actes, qu’une improbable seconde vie, autant à la table des Dieux qu’à Amakna, dans l’esprit des pauvres diables apeurés par la Nature, par son prochain, par cet ange même qui les a protégés et dont ils craignent d’avoir à payer la dette, une fois la conscience envolée dans l’Au-delà…

Je suis adepte de Sram, chapardeur émérite, meurtrier occasionnel, sur commande ou sur ordre, incapable de voir mon reflet, sans voir déferler devant moi ma vie, ce petit ruisseau, si tranquille, jusqu’à…cet instant…ce contact, qui fit de moi un torrent en furie ; c’était mieux avant…

Avant l’Apparition de cette Divinité, qui m’a donné la vie mais est synonyme de mort et déshonneur, pour qui ose passer outre ses ordres : puissance, réussite et chaos.

Aujourd’hui, je suis le produit parfait du disciple de Sram : une force destructrice, une cruauté, une fureur implacable…et la folie…

Je suis fou !

Sram a fait de moi un pur inconscient, impuissant à modeler ma propre vie. Il me maîtrise, me conditionne pour me faire devenir le prototype du Maître d’Amakna.

Bientôt, je ne serai plus lucide que pour contempler mes méfaits ; bientôt, les rênes ne seront plus en mes mains, c’est pourquoi je vous adresse ce journal, récit de ma vie, mais surtout, récit possible de votre mort…

Si vous me rencontrez en plein jour, prenez garde : votre ombre est l'oeil de Sram, mes frères.
Vous ne pourrez m'adresser la parole que si vous me voyez sans ombre.
Si vous voyez, à mes côtés, un être sombre, démesurément grand, évitez-moi...
La nuit, ne cherchez même pas à me croiser, fuyez, fuyez comme les Tofus fuient la Peste...Je chasse!

Sauvez-vous, ou tuez-moi…

Vous connaîtrez dans peu de temps mon histoire...A moins que vous ne préfériez l'ignorer...Je ne vous en voudrais pas.

Voici le récit du début de cette descente aux Enfers :

Je suis né de l’union de deux Templiers de Sram, une ancienne organisation regroupant des assassins de tout poil, de tous horizons ; ses activités étaient peu connues alors, du fait, à première vue, d’une grande tolérance et d’une aide omniprésente pour les plus faibles.

Mais sous ces dehors de bienfaiteurs, les Templiers recrutaient à l’intérieur même des prisons, corrompaient, tuaient, volaient, tant et si bien qu’ils devinrent le premier réseau criminel d’Amakna, tandis que chacun ne voyait en eux que des prêtres zélés.

Il s’avéra que je naquis au milieu de cette Confédération, et, qui plus est, fils de deux des plus hautes figures de cette société, bénis par Sram Lui-même. Aussi ai-je rapidement acquis cette roublardise qui caractérisait si bien les Puristes, tels qu’on appelait les véritables disciples de Sram. Fin voleur, menteur subtil, combinard très réputé, je devins très jeune la mascotte de la Confédération des Templiers. Ma perte approchait…

Car j’ai vécu une cérémonie des plus éprouvantes, une cérémonie où je semblais mis à l’honneur, mais où des prémonitions de chaos succédaient aux versets à la gloire de Sram.
Longtemps je me suis cru destiné à instaurer la suprématie de Sram et de ses Templiers, jusqu’à me voir avec une figure de dément, éventrant, égorgeant, mutilant des Amakniens innocents.
Mais la vie continuait, insouciante, tranquille.

Peu après ce qu’on m’a dit être une bénédiction, je commençai mon instruction des armes, du meurtre et, art beaucoup moins étendu à Amakna, de la guerre.
J’appris très vite à connaître les organes vitaux de chaque créature, et, par là même, où placer une attaque avec précision pour un rendu maximal ; rapidement, je fus capable de loger une flèche dans un Tofu en course à une distance de vingt empans, atteindre le cœur d’un Minotoror à l’aide d’une simple dague, et même décérébrer un Bwork par sa propre lame !

Mais ces leçons intervinrent alors que j’étais la victime de funestes visions nocturnes. Chaque nuit, tentant de sommeiller comme je pouvais, m’apparaissait un spectre, immense, déferlant sur le Temple de Sram, notre point de ralliement ; puis dans le Temple se ruaient en vrac disciples de Iop, armés de Razielles, de Crâ, enflammant de leurs flèches la nuit et les dévots, d’Osamodas, accompagnés d’une armée de Prespics et de Craqueleurs, et de Xélor, et d’Eniripsa, et de Féca, et d’Ecaflip, et d’Enutrof, et de Sadida, …Puis je me voyais, tout frêle, parmi les décombres, unique survivant…
Et je me réveillais, hurlant à la mort, tel un Mulou aux petits abattus…

Mais mon apprentissage ne comprit aucun répit ; j’avais obligation de devenir toujours plus performant, sous peine de révocation des Templiers. Cela me permit de résister plusieurs nuits d’affilée au sommeil, ce qui s’avéra être un point capital de mon enseignement. Mon professeur, une Puriste, était par ailleurs une femme froide, sans compassion, et pourtant empreinte de luxure. Maintes fois elle a voulu m’avoir à la merci de ses caresses, et m’a tenté bien souvent. Et mes refus face à ses avances se soldaient bien souvent par un durcissement de mon entraînement.

Finalement, mes parents, prenant pitié de moi, ont daigné m’accorder une protection rapprochée pour combler ma faiblesse.
C’était une femme, disciple d’Ecaflip, très puissante ; on disait d’elle qu’elle était parvenue à venir à bout d’une Tribu de Bworks Mages à elle seule, ce qu’elle a toujours revendiqué.
Mais c’était aussi un être sensible et bienveillant, écoutant (supportant serait plus juste) mes plaintes ; elle non plus n’était pas sans soucis. Ses parents sont décédés dans un règlement de compte opposant des Templiers aux Cléricaux, une faction opposée aux Templiers et à ses tentatives d'institution d’un régime oligarchique de Sram. Elle n’avait alors aucune profession sérieuse, outre celle de garde du corps, elle n’était pas Puriste, elle était pauvre, elle était crainte ; ses seules vraies ressources étaient le jeu. En effet, son salaire perçu, elle partait immédiatement à la Taverne, tout jouer au poker, à la loterie, aux cartes Tragic, aux dés, et bien souvent elle en sortait d’un air désolé, la bourse pendant pitoyablement de sa ceinture, toute plate…
Puis cette compassion réciproque est devenue confiance… puis amitié… puis complicité… puis…
Oui…
Nous nous sommes aimés, nous, si différents, avons formé un amour métissé, si improbable et pourtant, si fort…
Cette passion est née un soir de brume, alors que j’étais harassé de fatigue, du fait d’un refus supplémentaire adressé à mon entraîneur ; toute la journée, j’avais fait le tour d’Amakna et toute la journée, j’ai dû subir des attaques de monstres de tous bords ; "elle" est venue, pour "m’assister en cas de épuisement", bien que je pense qu’elle ait fait ça pour contempler les méthodes de mon instruction ; elle n’y était en effet jamais allé. Et elle a vu les conditions abominables de mon apprentissage.
Le soir venu, elle a pansé mes multiples plaies, et alors …ma mémoire a totalement éludé cet instant de délice, ô combien primordial de mon histoire.
J’ai hérité d’elle, cette passion de l’imprévu, ce sentiment qui vous pousse à oser l’hautement improbable, le pratiquement impossible, du seul fait de la curiosité…
Elle, elle a tiré de moi cette combativité, qui l’a poussé à faire reculer ses propres bornes, sa peur de l’Inconnu…

Le soir, deux possibilités nous tentaient : partir à la Taverne, où on dépensait sa paye et mes Kamas, au coin d’un bon feu, devant une partie de poker, où l’on pouvait finir plus riche qu’un roi, ou bien plus pauvre qu’un mendiant…
Ou partir vers les contrées inexplorées, casser du Craqueleur, subtiliser les secrets des Temples les mieux gardés, et s’aimer, s’aimer à redouter la venue du jour…
Nous nous sommes tant aimés…
Jamais nous n’aurions dû nous rencontrer !

J’aurai vécu avec elle des instants auquel nul ne pourra accéder…Sauf un être…
Ma mission n’allait pas tarder à débuter.

Tard, un soir, alors que nous sortions de la Taverne, après avoir amassé un butin digne d’un trésor de guerre, nous revînmes au Temple, où nous avons passé la nuit.
C’est alors que de notre fenêtre d’où provenait un souffle d’air pur, nous vîmes des ténèbres, venant du village, qui allaient dans notre direction ; elles entourèrent rapidement le Temple, si bien qu’on ne put bientôt plus vous à une distance d’un empan.
Elles se dissipèrent cependant.

Et l’impensable se produisit.

La plaine environnante était noire de monde, toutes les religions étaient représentées, celle de Sram mise à part. Des visions me vinrent soudain, rappelant mes nuits d’horreur, souvenir alors enfoui…
"Nous sommes attaqués !", cria la vigie.
Attaqués ? Maintenant ? Par qui ? Pourquoi ?…
Tout devenait flou, j’oubliais les crimes de la Confrérie, je ne pensais qu’à nous deux, pauvres innocents au milieu de la bataille.
À la fenêtre, apparurent les bannières Cléricales…
L’Eglise était donc parvenue à créer une armée…
Pauvres de nous !

Une flèche enflammée se planta dans la grange, libérant les Tabis apeurés, à la carcasse embrasée, tandis que les premiers Templiers engageaient le combat, écrasés aussitôt par les Craqueleurs, masses de roche engagées par Osamodas contre le Temple de Sram, tandis que les adeptes des autres religions s’attaquaient aux fondations.
Je tentai bien de gagner la bataille, mais "elle" m’annonça la fin imminente des Templiers. Je voulais résister, me joindre à mes compagnons d’infortune, mais elle me retint, d’un baiser, ardent comme la braise, quand le sol se déroba sous nos pieds.

Quand je me suis réveillé, le jour venait de poindre. Les cendres du Temple étaient encore fumantes.
Tout de suite, je me mis en tête de la trouver.
Et je la découvris.
Sérieusement blessée, mais toujours vivante.
Nous étions donc les deux seuls survivants.
Ai-je dit deux ?
Non, bien sûr.
Nous étions TROIS !

Je partis de suite au Temple d’Eniripsa.
J’y découvris une escouade Cléricale.
De fureur, je les décimai. Je n’en laissai qu’un, à terre, dans un état pitoyable ; je lui prédis une vendetta des plus sanglantes.
Je ne m’étais pas trompé.

Laissant ce soldat à son triste sort, j’entrai dans le Temple. Quelle ne fut ma surprise en constatant l’état des Troupes Cléricales ! Alors que la bataille n’avait duré que quelques minutes, les dégâts subis par l’armée de l’Église étaient considérables. Méprisant nos connaissances et ignorant les voies de sécurité, ils n’avaient probablement pas pu déminé et durent en subir les conséquences, lesquelles leur apparurent comme désastreuses !
Dans les rangées de lits, on parlait de neuf victimes pour dix soldats, dont un tiers gisait sur le champ de bataille, et le reste gémissait sur des brancards, blessés, mutilés, estropiés, défigurés, invalides et gueules cassées somnolant tristement dans le Temple.
Alors que les soigneurs passaient entre les corps, je me mis en tête de trouver notre ancien contact, commerçante très connue pour ses médecines et ses pains.
Autour de moi, les Cléricaux me dévisageaient de manière méfiante, voire même hostile, médisant à voix basse ou m’insultant à voix haute. D’aucuns me provoquaient en duel ou cherchaient à m’agresser. Quelle horreur ! abattre ces loques presque amorphes, souvent sans bras pour cogner, ou même sans voix pour me maudire.
Mais ils finirent par me laisser tranquille, discutant plutôt de la chasse au Minotoror ou des derniers arcs en vente.
Étrange…les vainqueurs gracient les vaincus survivants, maintenant ?
…
Bon, peu importe.
L’essentiel, c’est de trouver…
Ah ! la voilà.
La prêtresse d’Eniripsa.
Notre seul contact survivant.
Et la seule à pouvoir sauver ma moitié.
Je lui expose la situation. Elle reste calme. Son stoïcisme m’insupporte. Je lui montre le corps inerte. Immédiatement, elle réagit. Elle la prend, la pose sur une table, appelle une demi-douzaine de médecins ("Des gens de confiance, totalement désintéressés"), donne à chacun une tâche précise. M’écarte de la table. Me pousse vers la sortie.
Ferme la porte.
Je me découvre, et constate de fait une tache de sang coagulé sur ma capuche, descendant jusqu’au bas de ma cape.
La douleur s’éveille, nette, précise, insolente, juste à l’arrière de mon crâne.
Une lunaison plus tard. Autant à subir cette douleur.
La prêtresse sort, son client à ses côtés.
Elle est sauvée !
Je lui offre ma bourse, tous mes gains de la veille, tant mon cœur est empli de gratitude. J’en oublierais presque ma plaie.
En me tournant vers la sortie, je distingue la silhouette de disciples de Iop au bas des escaliers en colimaçon.
De suite, je me duplique, envoie mon double au combat, me déguise et m’en vais en compagnie de ma dulcinée.
Avant de partir, je mine les abords du Temple.
Loin de moi l’idée de piéger les médecins…De toute façon, ils ne sortent jamais.
Simplement, les pertes de l’armée Cléricale vont passer de "désastreuses" à "cataclysmiques" !
Nous allons à la Taverne.
Aïe !
Ma tête…

La douleur est revenue, aussi brûlante qu'à sa découverte. Je défaille légèrement sous le poids de la douleur. Elle le remarque. Elle me demande ce qui m'arrive. Ne voulant pas lui donner de souci après ce qu'elle a enduré, je nie ma souffrance. Elle affiche une moue sceptique, mais elle n'insiste pas.
Voici la Taverne ! ses comptoirs longs de plusieurs dizaines d'empans, ses parties de poker endiablées, son bonneteau, sa loterie, ses tournois de Tragic, et bien sûr, ses bières.
Nous nous en approchons. Au bout de drapeaux dorés pendent des cadavres, dont les yeux et la chair ont été arrachés par les corbeaux. Du tout s'échappe une odeur abominable.
L'Eglise prend-elle ces anciens Templiers pour des vaincus ? Des trophées ? Des victimes ?
Sûrement un peu des trois.
Nous nous arrêtons, révulsés d'horreur. Elle broie ma main dans la sienne. Mes tempes battent à tout rompre. Sont-ce vraiment des libérateurs que ces hommes d'Eglise ?
J'amorce un quart de tour. Elle me tire vers elle, se colle à moi.
"Allons-y tout-de-même, chuchota-t-elle. Les Templiers ne sont plus, il faudra bien faire face à cette nouvelle donne.
-Mais enfin, regarde ces monstres ! répliquai-je. Ils refusent de les enterrer. C'est de la pure barbarie ! Et puis...Peut-être vont-ils me voir, et alors...
-Au moins, nous mourrons ensemble."
Bizarrement, cette idée m'a totalement ragaillardi. Je lui ai donné mon bras, et nous sommes entrés, au milieu des Moskitos.
A l'intérieur, tout était calme. Il faisait bon, et la pestilence cadavérique avait été contournée par de l'essence de houblon.
Beaucoup de clients, la plupart passablement assomés par l'alcool, dont une petite escouade cléricale, qui braillaient des chansons obscènes.
Nous nous sommes accordés à remplir notre bourse. Elle avait dit vouloir tenter sa chance ; moi, j'ai décidé de tenter le diable. J'ai choisi un jeune vendeur d'Epées de Chevalier, ivre et dévoré par le démon du jeu. Nous l'avons ratiboisé, lui, sa bourse et son stock.
Nous entendîmes soudain des paroles incongrues, venant de la table des Cléricaux. Le traître serait un Puriste, et serait toujours en vie. Nous nous redressâmes de concert et tendîmes l'oreille.
"...Mais personne ne connaît ses traits, ni sa voix. Il ou elle a bien insisté pour que le comité qui l'écouterait soit le plus restreint possible...
-Comment le traître l'a fait savoir alors ?
-En public, toutes ses réparties avaient été préparées sur parchemin. Tous les documents sur le mystérieux personnage ont ensuite disparu dans la bibliothèque de l'Eglise. De sorte que personne ne sait ni son âge, ni son visage, ni même son sexe...
-Si, le comité.
-Ils ne risquent pas de parler. Et puis, rien ne dit qu'ils savent...
-Ils savent.
-Qu'est-ce que t'en sais, toi?
-J'en étais.
Tous se sont tournés vers le disciple de Crâ.
Silence.
-Eh ben, raconte !
-Alors voilà : j'étais de garde au Temple d'Eniripsa ; pendant l'heure du déjeûner, je vois une ombre se profiler au loin ; en regardant attentivement, j'ai vu les vêtements communs à tous les Templiers ; j'ai aussitôt donné l'alerte, je suis revenu sur le toit et j'ai bandé mon arc avec une flèche d'immobilisation. Mais sa silhouette a soudain disparu ; je suis descendu faire mon rapport, je suis entré dans la chambre du général et je suis tombé nez-à-nez avec notre bienfaiteur !
-Et y racontait quoi ?
-Que c'était un haut dignitaire des Templiers, et qu'un plan de domination très étendue était entre ses mains ; de plus, la liberté était sa seule condition pour nous avouer où et quand frapper avec précision. Le contrat s'est révélé payant !
-Mais parle-nous du traître en lui-même...
-Tout d'abord, c'était un disciple de Sram ; bon, à partir de là, on connaît les traits principaux : ils sont tous prétentieux, hautains, cupides, cruels, sournois, corrompus, ..."
Et il continuait de réciter les préjugés qu'on lui avait inculqués, des clichés très durs, très blessants. Je fermais les poings, je tremblais, tellement je vouler le couper en plein récit. Elle, elle a bien cherché à me retenir, mais quand j'ai entendu que nous serions capables de vendre père et mère, je me suis rué sur lui et lui ai mis ma dague sous la gorge, quand un des siens m'a assommé ; il m'a relevé, et le membre du Secret a sorti une flèche de son carquois, qu'il a lentement enfoncé dans ma chair.
Je hurle.
"Vas-y, continue de crier ; attends que je vérifie si tu es bien qui je pense..."
Il a commencé à ôter ma capuche, mais il a reçu un coup de marteau sur la main.
Elle a voulu le frapper à nouveau, mais les autres l'ont ceinturée à six contre une ; lui, il s'est relevé, a massé son poignet douloureux, et, sans un mot, avec son bras valide, lui a asséné un coup de poing fulgurant au ventre.
Ivre de rage et de douleur, je me suis libéré et aveuglé par la souffrance, j'ai mis la main sur le pommeau de mon épée, ai couru vers l'archer, ...mais je me suis senti choir, longtemps, longtemps, je me suis vu face contre terre et me suis évanoui.
Apparemment, beaucoup plus tard.
Je me réveille enfin.
Ma première vision fut son visage penché sur le mien. Un visage plein de larmes.
Je me suis relevé pour lui montrer que j'allais bien. Je lui ai dit quelques mots doux, je l'ai embrassée. Au travers de la vitre, je vois la Lune. Je lui demande quel jour nous sommes.
"Le lendemain de ton carnage, répond-elle en sanglotant.
-Comment ça, "mon" carnage ? Et de quoi parles-tu ?
-Regarde..."
Et elle me montre mes mains.
Mes mains...Elles sont couvertes de sang ...!
Et le sol...Et les murs...
Toute la Taverne était recouverte de la couleur du péché de meurtre.
Tant mieux, me suis-je dit.
A ceci près que les innocents n'avaient pas été épargnés.

Vous me croyez fou... ? Vous seriez en droit de le penser. Peut-être ai-je perdu la raison, en effet...
Après tout, ce serait normal : la guilde dans laquelle j'ai été élevé depuis mon plus jeune âge a été massacrée, les cadavres fumants des miens sont à l'air libre, exposés, et tout cela serait l'oeuvre d'un des nôtres, un traître. Que de raisons de sombrer dans la folie...
Mais je vous assure que toute cette épopée que je narre sur parchemin est on ne peut plus VRAIE !

Longtemps j'ai contemplé les victimes de mon incroyable fureur ; d'abord assailli par l'étonnement, j'ai ensuite été submergé par la vague d'une étrange et cruelle satisfaction ; "satisfaction", le mot est faible pour désigner ce très désagréable sentiment du "travail bien fait", cet incompréhensible contentement. J'avais honte de moi !
Dans mon emportement à fuir ce lieu souillé par la haine, je l'ai pris, "elle", par le bras, et je lui ai demandé de m'expliquer ce qui s'était alors passé.
Ce qu'elle me raconta alors me stupéfia :
Après qu'elle eut reçu ce coup au ventre, sa vue se troubla quelques instants, mais elle a réussi à entrevoir mon visage, effroyablement contracté par la haine, tous mes membres raides ; mais toute l'assistance recula quand on vit mon visage, mon torse, mon corps entier s'assombrir, jusqu'à devenir totalement noir, à l'exception de mes yeux, rouges ainsi que deux rubis.
Alors seulement, l'hécatombe a commencé.
Selon ses dires, je sautais d'homme à homme, que je tuais en moins d'une seconde, sans distinction, homme ou femme, enfant ou vieillard, j'occissais tous ceux qui étaient à ma portée. Ce ne fut que quand la dernière victime tombait que mon corps s'éclaircit, puis chancela.
"Mais toi...Tu as survécu...Tu as fui ?...
-Non, j'étais paralysée par la peur...Durant toute l'heure qu'a duré le massacre, je suis resté, au même endroit, et lorsque tu es tombé, c'est dans mes bras...
-Etais-tu la seule ?...
-Non, mais...
-Quoi ?
-Une seule autre personne a survécu...
-Qui...
-Celui qui est à l'origine même de la rixe meurtrière...
-Non !
-Celui-là même qui t'a provoqué...
-Le membre du Secret !...
-Ecoute-moi ; à l'heure qu'il est, l'Eglise est sûrement au courant ; il faut fuir d'ici au plus vite !"

Nous avons appris que par la suite, une fouille fut organisée à la taverne. L'Eglise y trouva ( ou plutôt y rajouta ) une dague marquée du sigle du Temple. Aussitôt fut ordonnée la chasse au Templier responsable de la catastrophe.
Commença alors pour nous une longue époque de fuite à travers monts et vallées, nous dont la tête valait désormais l'anoblissement et la richesse à jamais.
Nous apprîmes également que j'avais reçu le surnom, désormais signe de crainte, du "Maudit"...
Je sus plus tard que ce sobriquet avait été, hélas, on ne peut mieux choisi.

A l'heure où j'écris ces lignes, la nuit a couvert le ciel de son manteau noir. J'ai froid. Très froid, non pas à cause du vent qui gémit au dehors, mais plutôt du fait du récit que je couche en ce moment-même sur le papier.
Me voici, pauvre diable, effrayé par mes propres faits, victime de mon seul esprit ; moi, le « Maudit », dont le nom est devenu même synonyme de fléau.
Quelle ironie!
Je me souviens...
Au terme de mon massacre, j'ai cherché à me faire oublier de vous. Je me suis réfugié au fin fond de ma grotte, dans l'espoir de ne pas avoir à assumer le poids de ma culpabilité. Mais elle était là...
Elle...
De vivre avec moi des fruits de la Nature l'avait rendue plus belle encore. Nous tentions de nous affranchir des normes de la société des puissants qu'était devenue la Terre d'Amakna.
Cependant, elle paraissait comme... changée. Dans son attitude à mon égard, si elle restait énamourée, transparaissait une crainte permanente. Elle qui était tellement attentionnée, semblait prendre ses distances.
Nous ne nous enlacions plus aussi tendrement ; nos nuits, n'avaient plus la chaleur de celles qui rythmaient notre passion, au temps de la grandeur du Temple.
Cette situation m'était intolérable ; nous, qui parlions de nos douleurs respectives, nous étions devenus comme de parfaits étrangers.

...Voici maintenant que je contemploe ses draps, où est encore imprimée sa silhouette.
Dehors, les nuages se découvrent pour montrer le premier croissant de la Lune.
La Lune...

...Plus tard, pris par une curiosité effrénée, je me suis mis en tête de retourner sur la place du Marché ; revoir les ruelles si vivantes de la capitale me ferait sûrement le plus grand bien.
Après un long voyage, seul, je parviens face au lieu de mon ancien massacre.
Alors, les Cléricaux avaient osé...
En fait, ce n'était plus une taverne ; le point de ralliement des soûlards, des joueurs en tous genres était devenu une annexe de l'Eglise. Ils avaient donc remplacé le Temple, comme première puissance d'Amakna.
J'appris par la suite que les Cléricaux étaient devenus également la première force coercitive d'Amakna. Par la masse de ses servants, elle était apte à tout obtenir ; la bourse, la vie d'un homme, la fin d'un groupement trop indépendant...
Je me suis mis en quête d'une ancienne relation, un habitué de l'ancienne Taverne. Un joueur de dés comme on n'en fait plus (un Ecaflip, forcément), mais surtout, un ami.
Je le trouvai dans un coupe-gorge. Moi, l'encapuchonné, je le vois perdre presque la totalité de sa mise au jeu.
Puis je le vois gagner coup sur coup, à six reprises, face à des adversaires médusés, l'équivalent de dix fois sa mise initiale.
Quand il quitte le jeu, pour s'asseoir à une table isolée et profiter de la bière du lieu (un infâme ersatz, à peine un tiers de houblon par rapport à la dose habituelle), je m'asseois à côté de lui.
Il me regarde.
« Excusez-moi... Nous connaîtrions-nous? »
Je lui montre ma dague de Templier.
« On ne reconnaît plus les amis? »
A cette vue, lui, paniqué, cache la dague et me tire vers l'extérieur.
« Bon sang... C'est toi? Mais... depuis quand es-tu revenu en ville?
- En fait, je ne suis que de passage ; je voulais prendre des nouvelles.
- Des nouvelles?
- Des nouveaux maîtres de la contrée, par exemple... »
Alors il me raconta tout.

Impressionant

Me revoici devant ma feuille.

Cela faisait bien longtemps que j'avais cessé la rédaction de ma tragédie. Pas par manque d'envie, non, mais par obligation.
Voilà que, depuis quelque temps, mon maître semble garder un oeil sur moi, comme s'il me soupçonnait de vouloir le trahir...
...l'idée est là, en effet.
Pas les moyens.

Combien de temps s'est passé avant que je n'entende encore ma plume crisser ?
J'ai même dû me forcer à relire mon récit, tant il m'avait paru étranger, avec les modificaions profondes que ma chair a endurée ces derniers temps.

Ce qui me glace le plus, pourtant, est d'avoir à vous narrer un passé que beaucoup d'Amakniens ont oublié, une fois les Cycles de Fer terminés. Au moment où j'écris ces lignes, je fais partie des cinq derniers hauts responsables de cette crise sans précédent.
Mais vous n'en avez jamais rien su ; alors que se jouait votre avenir, à tous.


Ce qu'il était advenu du pays d'Amakna, je le tiens de mon ami Ecaflip.
Je retranscrirai ici, comme un dernier hommage, comme une épitaphe, ses mots.


- Alors ? Quoi de neuf dans la contrée ?

"Mon vieux... que ce soit moi qui ait à le dire, ça me fait mal au coeur. Mais...écoute :


La contrée, comme tu dis, a fondamentalement changé depuis que le Temple a brûlé. Les Cléricaux, qui étaient auparavant prompts au don de soi, sont devenus de vrais tyrans.
Tu sais que le Commandement du Commerce comprenait, à son plus haut niveau, des responsables de tous les organismes de bienfaisance et des syndicats des professions mercantiles : marchands, armuriers, taverniers, cercles de jeux et autres, non ?
Par conséquent, le Temple et l'Eglise s'étaient vus attribuer un grand nombre de postes décisionnaires ; tu sais également que leurs décisions influent de façon très subtiles sur la vie du pays.
Tu ne le sais peut-être pas en tant que disciple, mais Eglise et Temple auraient établi une trêve dans leur lutte, car les huiles se seraient mises d'accord sur un projet de "nouvel Amakna", une politique révolutionnaire, dont les importantes décisions auraient été formulées au Commandement du Commerce, justement.
Mais il semblerait que le Temple ait réussi, peu avant sa dissolution, à remporter un vote de confiance de la part de tous les syndicats mercantiles. Quoi de plus normal, puisque le Temple gagnait régulièrement des marchés sur Amakna.
Tu te rappelles qu'ils avaient remporté le monopole sur les spiritueux et la ferronerie ?"


- Mmoui, ça me dit quelque chose...


"Mais cette mesure, apparemment anodine, bouleversait l'équilibre politique du pays ! Des voix se sont levées, venant de l'Eglise, pour protester contre la mainmise du Temple à déider quel serait l'avenir du pays.
Ils ont pourtant été rapidement éjectés des instances dirigeantes, pour causes de menaces de conflits. Les marchands s'étaient ligués contre eux, objectant que leurs projets nuiraient aux commerces de tout le pays. Le Temple n'a même pas eu à agir.
Pour autant, ne va pas croire que le Temple était satisfait de la situation. Cela fait sans doute beaucoup de rumeurs, mais à l'intérieur même des Templiers, les dirigeants s'étaient divisés en deux camps.
D'une part, les adeptes de la "révolution douce" qui refusaient l'éventualité de toute effusion de sang, pour arriver à leurs fins, préféraient faire des concessions.
Et d'autre part, plus minoritaires, mais virulents, les partisans du "changement violent" qui appelaient le pays à un soulèvement massif.
C'est dans ce contexte de luttes intestines que l'Eglise a recruté des mercenaires en masse, et a lancé son attaque..."


- Ils n'auront pas eu le temps de se décider...


"Si, justement !
Du moins, c'est encore une rumeur qui l'affirme, mais elle est si peu connue et si incroyable qu'elle ne semble finalement pas si folle :
Le traître, celui qu'ils appellent "Sauveur" aujourd'hui...
aurait été partisan de la méthode dure."


- Qu... Hein ? Mais c'est insensé !


"Pas tant que cela, apparemment. Une des seules informations ayant filtrées à son sujet est qu'il était issu des hautes sphères dans le Temple.
Si on considère, en outre, que le but ultime de ces extrémistes était d'avoir le pouvoir et de le conserver par la méthode violente, alors l'appel aux forces de l'Eglise est un choix judicieux !
L'Eglise n'avait plus aucune chance d'instaurer sa suprématie par la méthode "civilisée" ; et la frustration de voir le Temple rafler tous les pouvoirs était grande.
Un traître de l'autre bord leur offre un moyen de mettre fin à leur pire adversaire. Pourquoi auraient-ils refusé ?"


- M...Mais alors, que s'est-il passé ensuite ?


"J'y viens."

c'est génial se que tu a fait la =o
sa serai bien une suite

Ton style est vraiment excellent et ça change du "kikoulol" qu'on à l'habitude de croiser sur Dofus...
Respect *w*